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Ibrahima Diallo, d'une ONG sénégalaise: «Dissuader les réfugiés par la peur est inutile»

Au Sénégal, l’exode rural se termine souvent en exode en Europe. Rencontre avec Ibrahima Diallo, directeur de Performance Afrique, en lien avec une ONG romande

Portrait d'un migrant sénégalais.  — © Reuters
Portrait d'un migrant sénégalais.  — © Reuters

Depuis le début de l’année, plus de 1650 réfugiés sont morts en Méditerranée. Mais cette hécatombe, encore en nette hausse après une forte progression de 33% l’an dernier, ne dissuade pas les Africains d’entreprendre le voyage au péril de leur vie. Pourquoi?

«Dissuader les réfugiés par la peur est inutile, affirme Ibrahima Diallo, directeur de Performance Afrique, organisation de développement en lien avec l’ONG romande Nouvelle Planète. Il est impossible de résoudre le problème en érigeant des barrières ou en injectant des dizaines de millions de francs CFA pour l’information et la sensibilisation au risque de mort en Méditerranée. Même si, selon les critères occidentaux, l’exode par la mer s’apparente à une forme de suicide.»

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L’exil comme la seule solution

Ibrahima Diallo, 45 ans, qui gère des projets de développement rural au Sénégal, a rencontré une quinzaine de ses compatriotes sénégalais. Ces jeunes, entre 19 et 28 ans, en transit en Libye, ont couru mille dangers et sont en attente d’une décision d’accueil ou de renvoi. Sur la base de ces discussions, il entrevoit des solutions afin d’éviter des drames le plus souvent liés à l’appauvrissement des sols agricoles et au rôle de soutien financier exigé des jeunes hommes dans la famille sénégalaise élargie.

En Europe, il est très difficile de comprendre que quelqu’un est prêt à mourir pour trouver du travail et nourrir sa famille

«En Europe, il est très difficile de comprendre que quelqu’un est prêt à mourir pour trouver du travail et nourrir sa famille.» Pourtant, dans l’esprit d’un jeune homme africain, condamné à une mort sociale et au déshonneur s’il ne parvient pas à subvenir aux besoins de ses proches (jusqu’à 20 personnes à charge), l’exil est envisagé comme la seule solution. Mourir en allant chercher du travail en Europe est donc considéré comme une fin plus digne que de perdre la vie dans la misère au Sénégal.

«La plupart des Sénégalais en exil n’arrivent jamais en Europe»

L’exode vers l’Europe n’est cependant pas la première solution envisagée. «Ces jeunes se rendent d’abord dans la ville la plus proche, le plus souvent Dakar, puis, comme ils ne trouvent pas de travail, ils poursuivent leur chemin vers le Mali et le Burkina Faso avant d’arriver en Libye, explique Ibrahima Diallo. Ils doivent alors trouver de l’argent, entre 300 et 500 francs suisses, pour effectuer la traversée de la Méditerranée. Travailleurs clandestins, sans papiers valables, ils courent le risque, en Libye, d’être emprisonnés ou enrôlés dans les forces rebelles. La plupart des Sénégalais en exil n’arrivent jamais en Europe, soit parce qu’ils restent coincés en Libye, soit parce qu’ils meurent en mer.»

Ibrahima Diallo a notamment rencontré, en Italie, Mamadou (prénom d’emprunt), 24 ans. Provenant d’une région rurale au sud du Sénégal, il ne pouvait plus vivre d’agriculture au sein de sa famille. «La terre s’appauvrit. A la suite du réchauffement climatique, la pluviométrie est devenue très faible, constate le directeur de Performance Afrique. Les récoltes de riz, de mil et d’arachides sont insuffisantes.»

Des situations précaires

Mamadou, sans formation professionnelle, s’est donc lancé dans un commerce de trafic d’essence. Arrêté par la police, privé de revenus, désespéré, il a décidé de chercher du travail en Europe. Après un long périple, dont 3 mois de prison en Libye, il a débarqué en Italie d’où, en attente d’un permis de séjour, il envoie à sa famille la moitié de l’argent de poche qui lui est délivré. «La situation est précaire pour lui, dans un environnement hostile en Italie, mais continue aussi à l’être pour sa famille», constate Ibrahima Diallo, qui se bat, avec une équipe de 22 personnes, pour concrétiser des projets de développement rural au Sénégal.

«Il s’agit d’améliorer l’accès à l’eau, aux semences, au stockage local de céréales, et de diversifier les activités par l’élevage de poulets ou de chèvres. C’est le meilleur moyen d’enrayer l’exode des jeunes», explique Ibrahima Diallo, qui travaille notamment en partenariat avec l’ONG romande Nouvelle Planète. Une coopérative de stockage de céréales, d’une capacité de 118 tonnes, devisée à 31 000 francs, a ainsi été construite l’an dernier à 170 km à l’est de Dakar. L’installation, destinée à combattre la pénurie alimentaire d’une zone regroupant 3000 habitants, devrait être financièrement autonome dans les deux ans.